Jalon 1 : Coopérer pour développer la recherche : la station spatiale internationale
THEME 1 :
DE NOUVEAUX ESPACES DE CONQUETE
Axe 2 : Enjeux diplomatiques et coopérations
Doc 1 : Derniers tours de pistes pour l’ISS en 2025?

La Station spatiale internationale, l’incroyable laboratoire de l’espace qui tourne au-dessus de nos têtes depuis 23 ans, n’intéresse plus la Russie. Elle l’a répété cette semaine. En 2025, ce sera "bye bye" l’ISS. Ou plus exactement, comme on dit en russe: "da zvidania".
Alors que l’astronaute français de l’Agence spatiale européenne (ESA) Thomas Pesquet doit prendre ses quartiers ce week-end à bord de la Station spatiale internationale (ISS) pour une seconde mission de six mois en orbite, l’avenir du grand laboratoire spatial devient de plus en plus incertain. Le meccano de l’espace, qui tourne à quelque 400 kilomètres au-dessus de nos têtes, vieillit. Des fuites suspectées depuis l’an dernier dans le module russe Zvezda de la station dénotent son âge. À tel point que le partenaire russe de cette grande aventure a indiqué cette semaine sa volonté de se retirer du projet en 2025, à la fin des accords de collaboration actuels. "Nous ne pourrons plus assurer la sécurité de nos cosmonautes à bord", a indiqué le vice-Premier ministre russe Youri Borisov, dans une déclaration rapportée par la BBC.

Les Russes, pourtant pionniers des stations orbitales habitées (Salyout 1 avait été lancée en avril 1971, il y a tout juste 50 ans), jettent le gant après 23 années de collaboration sur l’ISS. Leur précédente station, la fameuse station "MIR", un assemblage d’une centaine de tonnes (contre 420 tonnes pour l’ISS), avait été désorbitée en 2001 et précipitée dans l’Océan Pacifique après 15 années en orbite. Un sort identique attend-il l’ISS? Sans aucun doute. Il semble en effet inconcevable de "déconstruire" une telle station pour en ramener les morceaux au sol. C’est tout bonnement hors de prix.

La construction de l’ISS a jusqu’à présent coûté plus de 120 milliards d’euros à ses partenaires (États-Unis, Russie, Europe spatiale/ESA, Canada et Japon). Un budget auquel il faut ajouter les frais d’entretien annuels (de quelque 2,5 milliards par an). Dépenser des sommes folles pour ramener l’ISS au sol, morceau par morceau, n’est tout bonnement pas envisageable.

Régime sec pour le B.USOC

Un autre indice révélateur de la fin de vie annoncée de l’ISS est à rechercher… en Belgique. "Fin 2020, la Politique scientifique fédérale belge (Belspo), nous a annoncé que nous ne pouvions plus participer à de nouveaux projets concernant l’ISS", indique l’ingénieure du B.USOC, Alice Michel. Le B.USOC est un de ces centres européens de contrôle des expériences menées à bord de l’ISS. C’est par son entremise que les chercheurs impliqués dans des expériences menées en orbite communiquent avec les astronautes de l’ISS, leurs "laborantins" en orbite. Le centre belge est installé à Uccle. Il relève notamment de l’Institut d’Aéronomie spatiale de Belgique et de la Politique scientifique fédérale.

"En effet", confirme Tom Verbeke, gestionnaire du programme des vols habités, de la microgravité et de l’Exploration au sein de Belspo. "À la demande de l’ESA, qui entend rationaliser les coûts opérationnels liés à la Station, nous sommes arrivés à cette décision. Seuls les programmes en cours à bord de l’ISS peuvent encore être suivis par le B.USOC". Une décision qui pose incidemment la question de l’avenir des quelque 30 personnes impliquées dans le fonctionnement du B.USOC, dont une douzaine est payée par Belspo ou l’Institut d’Aéronomie spatiale de Belgique. "Nous réfléchissons à la meilleure manière de conserver ces expertises", indique M. Verbeke.

Cap sur la Lune, Mars et… d'autres stations orbitales ?

De son côté, la Nasa (Agence spatiale américaine), préfère elle aussi consacrer ses budgets à des projets d’avenir. Comme le retour sur la Lune et au-delà vers Mars en ce qui concerne son programme d’exploration. Pour l’ISS, elle préfère également avoir recours au lanceur américain privé SpaceX et sa capsule Dragon, empruntée ce week-end par Thomas Pesquet, pour gagner l’ISS plutôt que d’acheter de nouveaux sièges sur le lanceur russe Soyouz. Un "manque à gagner" pour le partenaire russe qui monnayait ses sièges de Soyouz depuis la mise à la retraite des navettes spatiales américaines.
La Russie de son côté n’est pas partenaire du programme de retour sur la Lune "Artemis" de la Nasa, auquel collabore l’Europe. À Moscou, on parle plutôt d’une… nouvelle station orbitale russe. Un nouveau module orbital dont le lancement est envisagé pour 2025, est déjà en construction. Le ministre Youri Borisov a précisé cette semaine que cette future station voguerait sur une autre orbite que l’ISS, notamment "afin de mieux survoler les régions polaires". Un choix stratégique pour surveiller la fonte de la banquise et l’ouverture au trafic maritime de cette région du monde.

Quant à la Chine, elle a annoncé son intention de lancer les premiers modules de sa station spatiale l’an prochain. Avant de se rapprocher de la Russie pour également mettre le cap sur la Lune? En mars dernier, les deux pays ont effectivement annoncé avoir signé un accord préliminaire (MOU) prévoyant la construction d’une station scientifique commune à la surface de la Lune voire une station orbitale lunaire commune.
Entretemps, une autre question concernant l’ISS est de déterminer quel usage réserver à cette station à partir de 2025 et jusqu’à la fin de sa vie opérationnelle. La commercialiser? En privatiser l’exploitation? En 2018, la NASA s’interrogeait déjà à ce propos en 2018.

Mercredi, le patron de l’agence spatiale russe (Roscosmos), Dimitry Rogozin, confiait à nos confrères de l’agence de presse Interfax avoir entamé des négociations avec la NASA en ce sens. "Notre retrait de l’ISS en 2025 ne signifie pas que la station sera mise au rebut et jetée dans l'océan immédiatement après 2025. Nous transmettrons simplement la responsabilité de notre segment à nos partenaires. Ou bien nous ferons notre partie de la station sur une base commerciale, plutôt que sur nos propres budgets". Il n’y a plus qu’à trouver des clients.

Un laboratoire très fréquenté
L’ISS est un succès. Au lendemain de la Guerre froide, la station a parfaitement rempli sa mission d’espace de collaboration internationale. Suivant les chiffres de la Nasa, 243 astronautes issus de 19 nations différentes y ont travaillé depuis 2000. C’est également un laboratoire scientifique exceptionnel. Y compris pour les chercheurs belges. En matière de santé par exemple, outre les progrès techniques liés à la télémédecine, pointons les travaux menés (dans le segment russe de la station) par le Dr Pierre-Yves Migeotte (ULB). "Ils nous ont permis d’affiner nos recherches en cardioballistographie", explique-t-il. "Cela a débouché sur la mise au point d’un système miniaturisé de surveillance de la fonction cardiaque des astronautes. Un système bien utile sur Terre également pour dépister précocement, avec la complicité de l’intelligence artificielle, des problèmes d’insuffisance cardiaque via… un simple smartphone". Ce produit, baptisé Kino, est le fer de lance de la spin-off HearthKinetics lancée par le chercheur. (C.D.B.)

Article de Christian de Brulle, paru dans L'écho, avril 2021
Doc 2 : Pour l’ISS, un avenir sous mauvaise étoile ?

Décriée pour son coût et son âge avancé, la Station spatiale internationale fonctionne pourtant aujourd’hui à plein régime. Si son avenir est encore incertain après 2024, les experts l’assurent : Américains, Russes, Japonais, Canadiens et Européens ne devraient pas l’abandonner de sitôt.
«C’est simple, on ne sait pas descendre l’ISS. La structure est très grosse [la taille d’un terrain de foot, ndlr], si on la désorbite, des morceaux vont atterrir sur la moitié du
globe, c’est trop dangereux», lance Sébastien Barde, sous-directeur Science et Exploration au Centre national d’étude spatiale (Cnes). «Si on veut la désorbiter en 2028, il faudrait se pencher sur la question dès maintenant, ce qui n’est pas le cas»,appuie l’ingénieur. L’option crash est donc pour le moment à oublier. Et démonter la station module par module aurait un coût pharaonique.

Mais que va bien pouvoir devenir l’ISS ? La carcasse de 400 tonnes, en orbite à environ 400 kilomètres de la surface de la Terre, montre des signes de fatigue. «Il y a de petites fuites d’air, indique Didier Schmitt, responsable de la stratégie et de la coordination de l’exploration habitée et robotique à l’ESA. Les Russes ont fait plusieurs sorties pour réparer des fissures, mais la fuite n’a toujours pas été localisée.»

Construite pièce par pièce depuis 1998, l’ISS continuera de fonctionner comme aujourd’hui jusqu’à 2024, l’accord intergouvernemental entre les pays européens représentés par l’ESA (l’agence spatiale européenne), les Etats-Unis (Nasa), le Japon (JAXA), le Canada (ASC) et la Russie (Roscosmos) ayant été reconduit jusqu’à cette date. Pour la suite, rien n’est écrit.


«Le plus grand bobard de l’histoire spatiale»

Or,depuis plusieurs années, des critiques se font entendre. A l’image de l’ancien spationaute français Patrick Baudry qui, en 2019 dans le Parisien, la décrivait comme «le plus grand bobard de l’histoire spatiale», s’alarmant des «sommes colossales dépensées» pour y mener des expériences obsolètes. «Le vol de Baudry, qui date de plus de trente-cinq ans, n’avait duré qu’une semaine alors qu’aujourd’hui les missions de base durent six mois, cela n’a rien à voir s’agace Sébastien Barde, qui précise que l’ISS sert aujourd’hui de laboratoire pour mener des ex­pé­riences en micropesanteur, irréalisables sur Terre.

Mais les 150 milliards de dollars engagés depuis la création de l’ISS en 1998 restent en travers de la gorge de ses détracteurs. «Certes, c’est disproportionné par rapport aux expériences menées, concède Didier Schmitt. Mais la construction de l’ISS était une décision politique et pas scientifique. Après la chute du mur de Berlin, les Américains ont tendu la main aux Russes pour que leurs ingénieurs ne se tournent pas vers des pays comme l’Iran. L’intérêt de l’ISS dépasse la science. Cela a un coût, mais pas de prix.» Selon l’ESA, les Américains financent à hauteur de 3,5 milliards d’euros annuels l’ISS, contre 300 millions pour les Européens. La contribution française s’élève à 30 millions d’euros par an. «L’équivalent d’une rame de TGV», relativise Didier Schmitt.


Projets de nouvelles stations

Techniquement, la station peut tenir jusqu’à 2028, voire 2030. Pour la suite, tout dépendra du financement pour la maintenir à flot. Problème : les ambitions lunaires de la NASA pourraient mettre un coup d’arrêt aux recherches effectuées sur la station. Avec la mission Artemis III,l’agence spatiale américaine souhaite faire atterrir des astronautes sur la Lune si possible dès 2024, afin de s’établir près du pôle Sud, puis de se servir de cette expérience pour lancer l’exploration humaine de Mars. Les Américains prévoient ainsi la construction d’une station spatiale en orbite autour du satellite en partenariat avec l’ESA : la Lunar Gateway.

Sans oublier les Russes, qui, exclus du nouveau programme américain, ont annoncé deux projets : d’abord, la construction d’une station lunaire, avec la Chine. Et puis, mardi, le patron de l’agence spatiale Roscosmos a indiqué qu’un premier module pour une «nouvelle station orbitale russe» était en construction, avec une mise orbite espérée pour 2025. Dimanche, le vice-Premier ministre Iouri Borissov avait déjà laissé entendre que Moscou allait revoir sa participation à l’ISS dès 2025. Or,maintenir l’ISS sans la participation des Russes paraît problématique.


Libération, par Julie Renson Miquel publié le 22 avril 2021