Devant le chêne bicentenaire haut d’une trentaine de mètres, Barbara Jakowska lève les yeux au ciel : «Pourquoi faire tout un ramdam quand une mairie installe un bac à fleurs sur le trottoir, si en parallèle on tue le bois en catimini », se demande la jardinière-paysagiste vincennoise. Ce chêne pédonculé ainsi que 500 autres arbres sont menacés d’être rasés en cas d’extension de la ligne 1 du métro depuis la station Château-de-Vincennes vers les villes de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) et de Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Pour la création de trois futures stations, 1,4 hectare de ce site naturel va être défriché, selon Ile-de-France Mobilités, et 6 hectares déclassés, le temps des travaux (sans impact sur les arbres). En effet, le terminus de la ligne actuelle n’étant pas assez profond, le chantier dans le bois s’effectuera non pas avec un tunnelier mais à tranchée ouverte, « comme en 1900 lors de la construction de la ligne 1 », note Pierre Serne, conseiller municipal EELV de Montreuil.
Al’approche de l’enquête publique qui s’ouvrira le 31 janvier, alors que la pétition en ligne « Touche pas à mon bois » a déjà récolté un peu plus de 60 000 signatures, le parti écologiste se trouve face à un dilemme soutenant à la fois le prolongement du métro et la préservation d’un des grands poumons de Paris. « Cette extension est indispensable pour la transition énergétique, mais elle ne peut se réaliser à n’importe quelle condition, souligne David Belliard, adjoint à la maire de Paris chargé de la transformation de l’espace public. Dans un contexte de réchauffement climatique, chaque arbre compte dans une ville minérale comme Paris. »
« On dirait qu’ils découvrent le dossier », souffle-t-on chez les élus des villes concernées par l’arrivée du métro. Avec une première enquête publique, lancée en 1936, cette prolongation n’a rien de nouveau. Dès 1995, trois itinéraires sont étudiés pour désengorger à la fois l’autoroute A86 et la ligne A du RER, la plus fréquentée d’Europe. En 2013, pour des raisons de faisabilité technique et financière, Ile-de-France Mobilités privilégie le tracé actuel, qui passe par le bois. L’élu écologiste Pierre Serne, vice-président d’Ile-de-France Mobilités de 2012 à 2015, a copiloté le dossier à l’époque. « J’avais prévenu que les gens iraient s’attacher aux arbres si on réalisait ce chantier à ciel ouvert », assure-t-il.
Le Monde 16 janvier 2022