« Les circuits courts alimentaires sont un moyen de reprendre le contrôle sur son assiette »
Yuna Chiffoleau, ingénieure agronome et sociologue, directrice de recherche à l’INRA, revient sur les enjeux des circuits courts et leur développement.
Avec la modernisation de l’agriculture, la standardisation des produits et le développement de la grande distribution, qui a multiplié les intermédiaires, les circuits courts ont décliné jusqu’aux années 1970, pour connaître un regain dans les années 2000.
Le mouvement a été très précoce au Japon. Dès les années 1960, des mères de familles, citadines, passent contrat en direct avec des producteurs en échange d’une production sans produits chimiques, après un scandale sur le riz, aliment de base en Asie. Elles créent le premier « teikei » (engagement de collaboration).
En France, la véritable extension des circuits courts se situe dans les années 2000, dans un contexte où la crise de la vache folle décuple les peurs alimentaires.(...)Au départ, le public de ces circuits est plutôt militant, issu des classes moyennes. Il y a une surreprésentation des bacs + 3, bacs + 5. Parallèlement, des gens inquiets pour leur alimentation, par exemple des couples au moment de leur premier enfant, s’intéressent aux circuits courts. Sans oublier les personnes âgées qui ont, pour certaines, toujours consommé en circuit court, sans le revendiquer, en se rendant chaque semaine sur les marchés de plein vent (en plein air).(...)
Depuis, le mouvement s’est démocratisé. Selon une enquête à laquelle j’ai participé pour l’INRA en 2013, 42 % des personnes interrogées avaient acheté un produit en circuit court dans le mois précédent, à hauteur de 25 euros environ par semaine, sur une moyenne de 100 euros de budget alimentaire hebdomadaire total.
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C’est avant tout la remise en question du modèle agro-industriel avec la domination de la grande distribution et la multiplication des problèmes environnementaux. C’est l’idée de maintenir des fermes à taille humaine, de sauver des terres agricoles.
L’enjeu est de rééquilibrer les territoires, les revenus de l’agriculture, l’alimentation et les assiettes. Pour cela, déjà, des boutiques de producteurs avaient vu le jour dès les années 1970, en lien avec un mouvement de retour vers la nature. Dans les années 2000, les alternatives au modèle agro-industriel deviennent plus visibles, à travers les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP). La première AMAP est créée en 2001 à Aubagne (Bouches-du-Rhône) à la suite d’une réunion dans un café écocitoyen d’Attac sur le thème de « la malbouffe »
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Depuis 2014, les projets alimentaires territoriaux (PAT) ont été introduits dans la loi pour l’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt, portés par Brigitte Allain, députée EELV de Dordogne, avec l’idée de construire des politiques alimentaires locales valorisant les circuits courts, les filières de proximité et l’agriculture durable. Les PAT sont le plus souvent portés par les collectivités. La plupart des efforts, toutefois, sont concentrés sur l’approvisionnement en produits locaux de la restauration collective. Mais des communes s’engagent aussi pour préserver le foncier et installer des agriculteurs dans l’espace périurbain, comme c’est le cas à Rennes, Lorient, Montpellier, ou encore en Ile-de-France, ou pour maintenir des équipements de proximité, comme des abattoirs.
Le Monde , Propos recueillis par Anne Guillard Publié le 26 janvier 2019