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Un coup d’État militaire en chanson

Le 25 avril 1974 à l’aube, 150 officiers et 2 000 soldats s’emparent d’objectifs stratégiques. Le soutien du général Spinola permet d’éviter les affrontements. Le président du Conseil, Marcelo Caetano, se rend avant d’être exfiltré au Brésil.
Le 25 avril 1974, peu après minuit, les auditeurs de l’émission « Limite », sur les ondes de Radio Renascença, n’en crurent pas leurs oreilles : c’est Grândola Vila Morena, une chanson interdite, que diffusait la station de l’Église catholique portugaise. Dans les casernes, quelques centaines de militants du MFA (Mouvement des forces armées) attendaient ce signal pour grimper sur les jeeps et dans les chars d’assaut et rouler vers le centre de Lisbonne. Quand le jour s’est levé, quarante et un ans de dictature avaient pris fin : les Lisboètes dansaient dans les rues, embrassaient les militaires démocrates et leur tendaient des œillets rouges.
François-Xavier Gomez, « Au Portugal, quand une chanson fit la révolution », Libération, 25 avril 2017

Au Portugal, un projet de musée sur la dictature de Salazar fait polémique

Un texte voté par le Parlement portugais qualifie l’idée, portée parle maire de la ville natale du dictateur, d’« affront à la démocratie ».


Quarante-cinq ans après la révolution des œillets, qui a mis fin à plus de cinquante ans de dictature, une controverse réveille, au Portugal, de vieux fantômes qui pouvaient sembler enfouis. En août, le maire de la ville natale d’Antonio Salazar (1889-1970) a en effet annoncé qu’il voulait construire, près de la maison du dictateur et à quatre kilomètres du cimetière où il est enterré, un « centre d’étude et d’interprétation de l’Etat nouveau ». Lorsque Leonel Gouveia, l’élu socialiste de Santa Comba Dao, une ville de 11 000 habitants située au nord du Portugal, a annoncé son projet, il a insisté sur le fait que ce lieu ne serait pas « un musée pour encenser ou diaboliser la figure de l’homme d’Etat », ni un « sanctuaire destiné aux nationalistes ». « Il s’agira d’un lieu d’étude destiné à analyser avec rigueur cette période historique, apprendre des erreurs et regarder vers l’avenir. »

Malgré les bonnes intentions proclamées par l’édile, l’idée de bâtir un musée sur Salazar et l’Etat nouveau ne passe pas – même si un certain nombre d’habitants du village ont adhéré au projet, y voyant l’occasion de doper le tourisme et de revitaliser l’économie locale dans une commune oubliée de l’intérieur. Beaucoup de Portugais y voient en effet une manœuvre opportuniste. Les historiens se sont ainsi montrés très critiques : certains ont critiqué l’emploi du mot « homme d’Etat » plutôt que « dictateur », d’autres se sont étonnés de la référence à l’idée de ne pas le « diaboliser », d’autres encore ont souligné l’incongruité, si le but est scientifique, d’y exposer des objets personnels ayant appartenu au dictateur.
Près de 200 anciens prisonniers politiques ont, de leur côté, signé un manifeste contre cet « instrument au service du blanchiment du régime fasciste » de Salazar. Quelque six milles Portugais ont, eux aussi, signé une lettre ouverte allant dans le même sens. Enfin, le 11 septembre, le Parlement portugais, à la demande du parti communiste, a adopté une déclaration symbolique condamnant la création d’un « musée dédié à la mémoire du dictateur Antonio de Oliveira Salazar ». Adopté grâce au vote des partis de gauche et à l’abstention de la droite, ce texte considère que ce projet de musée est un « affront à la démocratie et aux valeurs démocratiques consacrées dans la Constitution
Aujourd’hui encore, les pages sombres du passé du pays continuent à diviser les Portugais. En 2007, Salazar avait ainsi été élu « meilleur Portugais de l’histoire » par les spectateurs du concours « Les grands Portugais » de la télévision publique du pays – devant Alvaro Cunhal, fondateur du Parti communiste portugais, et le consul Aristides de Sousa Mendes, qui avait aidé 30 000 juifs à fuir le régime nazi durant la seconde guerre mondiale. Depuis, le pays a cependant avancé dans son travail de mémoire. En 2015, la ville de Lisbonne a ainsi inauguré un musée mettant en valeur la lutte contre la dictature dans une ancienne prison de la police politique de Salazar. L’an prochain, un musée national de la Résistance et de la Liberté ouvrira dans la forteresse de Peniche, au nord de la capitale.

Le Monde , Par Sandrine Morel (Madrid, correspondance) 11 octobre 2019