Dans l'esprit des dirigeants de l'après-Seconde Guerre mondiale, il faut éviter la guerre parce qu'elle serait apocalyptique, et nul ne songe encore que c'est justement parce qu'elle serait apocalyptique qu'elle ne sera pas. Cette idée de tuer la guerre par la peur de la destruction totale n'est pas encore née. […] Avec l'arme nucléaire, la dissuasion va prendre une autre forme plus radicale. Selon Henry Kissinger, la dissuasion est la tentative faite pour empêcher l'adversaire d'adopter une certaine ligne d'action en lui opposant des risques qui lui paraissent sans commune mesure avec les gains escomptés. L'arme nucléaire rend en effet la guerre impossible parce que non gagnable. […] L'angoisse de la guerre nucléaire devint à la fois celle de voir l'adversaire appuyer sur le bouton et celle de voir ses propres dirigeants céder à la paranoïa. […] La première moitié de la guerre froide fut une véritable période de prolifération nucléaire, sauvage et sans garde-fou. […] C'est ainsi que, de deux, le nombre de puissances nucléaires passe, en l'espace de quelques années, à cinq et que d'autres pays se lancèrent dans des programmes, avant que ne s'engagent des efforts multilatéraux en vue d'interdire, et de limiter le nombre d'États dotés de l'arme nucléaire. […] Si la guerre froide n'a pas dégénéré en réel conflit armé et direct entre les deux principales puissances, c'est bien grâce à la capacité de destruction des armes nucléaires.Pascal Boniface, Le monde nucléaire. Arme nucléaire et relations internationales depuis 1945, Odile Jacob, 2006.
Nous exigeons l'interdiction absolue de l'arme atomique, arme d'épouvante et d'extermination massive des populations. Nous exigeons l'établissement d'un rigoureux contrôle international pour assurer l'application de cette mesure d'interdiction. Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n'importe quel pays, l'arme atomique, commettrait un crime contre l'humanité et serait à traiter comme criminel de guerre. Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel.Extrait de l'appel de Stockhlom, 19 mars 1950.
Il est devenu possible d'envisager une réaction nucléaire en chaîne dans une grande quantité d'uranium, laquelle permettrait de générer beaucoup d'énergie. […]Ce fait nouveau pourrait aussi conduire à la réalisation de bombes, et l'on peut concevoir que des bombes d'un genre nouveau et d'une extrême puissance pourraient être construites. […] Devant cette situation, vous souhaiterez peut-être disposer d'un contact permanent entre le gouvernement et le groupe des physiciens qui travaillent en Amérique sur la réaction en chaîne […]. J'ai appris que l'Allemagne vient d'arrêter toute vente d'uranium extrait des mines de Tchécoslovaquie dont elle s'est emparée. Le fils du vice-ministre des Affaires étrangères allemand, Von Weizsäcker, travaille à l'Institut Kaiser Wilhelm de Berlin, où l'on a entrepris de répéter des expériences américaines sur l'uranium.Lettre d'Albert Einstein, 2 août 1939.Nous,hommes de science, dont la destinée tragique a été d'aider à créer des procédés d'anéantissement plus affreux et plus efficaces, nous devons considérer comme notre devoir solennel et suprême de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher que ces armes soient employées à atteindre le but inhumain pour lequel elles ont été inventées. Quelle tâche pourrait être plus importante pour nous ? […] C'est pour cela que nous devons construire des ponts spirituels et scientifiques reliant entre elles les nations du monde.Extraits du message adressé au Congrès des intellectuels pour la paix, Wroclaw, 25-28 août 1948. Albert Einstein, Conceptions scientifiques, morales et sociales, Flammarion, 1952.
En 1938, le chercheur italien Enrico Fermi reçoit le prix Nobel de chimie pour « sa découverte de nouveaux éléments radioactifs ». Seulement voilà, Fermi s'est trompé et il a eu le prix Nobel pour la découverte de deux éléments imaginaires… L'histoire illustre à merveille la manière dont la science se trompe, se corrige et, ce faisant, s'améliore. Le 12 décembre, Fermi reçoit son prix à Stockholm. Il en profite pour fuir aux États-Unis, la situation de son épouse, qui est juive, étant de plus en plus précaire dans l'Italie mussolinienne. Une semaine plus tard, le chimiste allemand Otto Hahn, qui a, avec Fritz Strassmann, reproduit l'expérience de Fermi, envoie ses résultats à sa consœur Lise Meitner. Lise Meitner discute avec son neveu, le physicien Otto Frisch, de la possibilité théorique qu'un noyau d'uranium se brise pour donner des noyaux plus légers. Ils écrivent un article en ce sens qui sera publié en février 1939 : ce qu'avait réalisé Enrico Fermi sans le comprendre, c'était la première expérience de fission nucléaire ! Dès qu'il apprit la découverte de Hahn et Strassmann, début 1939, il modifia son discours de réception du prix, preuve d'une grande honnêteté intellectuelle. Les deux chercheurs allemands reçurent le Nobel de chimie 1944 pour la fission nucléaire (Lise Meitner étant scandaleusement oubliée dans l'histoire). Ce dernier réalisa la première pile atomique en 1942, c'est-à-dire la première réaction nucléaire en chaîne contrôlée de l'histoire.Pierre Barthélémy, « Il y a 75 ans, le Nobel de physique récompensait… une incroyable erreur », Le Monde, le 6 octobre 2013.