Par Sacha MARTINEZ Ouest France , 27 mai 2020
Cela fait bientôt trente ans que des astronautes se relaient à bord de la Station spatiale internationale (ISS), en orbite au-dessus de nos têtes. Ce mercredi 27 mai, si la météo permet le décollage depuis le centre spatial Kennedy, sur la côte de Floride, aux États-Unis, deux astronautes doivent embarquer dans la capsule de SpaceX pour la rejoindre.
Le but ? Permettre à des scientifiques de différents pays de travailler dans ce gigantesque laboratoire en impesanteur. Mais à quoi sert vraiment l’ISS ? Réponse avec Jean-François Clervoy, astronaute et membre de l’Agence spatiale européenne (ESA).
Les études dans l’espace ont un impact direct sur nos vies
Tout d’abord, l’ISS est un laboratoire extraordinaire pour les scientifiques : « L’avantage de la station spatiale internationale, c’est l’absence de pesanteur », souligne d’emblée Jean-François Clervoy. Pourquoi cette impesanteur est-elle intéressante ? « Elle révèle dans toutes les disciplines scientifiques des phénomènes masqués sur Terre », dit-il
À titre d’exemple, la chirurgie optique a ainsi largement bénéficié des recherches effectuées dans l’ISS. « Toute la technologie qui permet d’opérer les problèmes de vue a été mise au point dans l’espace »,illustre l’astronaute de l’ESA. De même, des études menées à bord de l’ISS ont permis de rendre les moyens de transport plus sûrs, en particulier le train et l’avion.
Un programme qui promeut la coopération internationale
Ensuite,l’ISS est un vecteur de coopération internationale. En effet, Américains, Russes, Européens, Japonais et Canadiens travaillent et financent ensemble ce projet. Ainsi, chaque organisation contribue à l’assemblage de la Station spatiale internationale et aux « coûts de copropriété ».« Pour faire simple, tout le monde paie pour pouvoir envoyer une partie de ses astronautes, pour une durée déterminée, dans l’ISS », détaille Jean-François Clervoy. C’est comme ça que l’astronaute français Thomas Pesquet a pu y partir en mission entre novembre 2016 et juin 2017.
Des emplois directement créés grâce à la station spatiale
Mais plutôt que de payer en cash sa contribution au programme, l’Europe mise plutôt sur l’échange de services. Ainsi, elle a payé sa contribution à l’ISS en prenant en charge le module de service d’Orion, un vaisseau spatial appartenant à la Nasa, l’Agence spatiale américaine. « L’Europe va fournir l’électricité, le carburant, l’eau ou encore les vivres dont aura besoin le vaisseau pour son prochain vol », décrypte Jean-François Clervoy. Résultat,l’Europe profite de la Station spatiale internationale pour créer des emplois. Près de 10 000 personnes en Europe vivent grâce à ce programme.Si l’Europe se contentait de payer sa contribution, elle n’aurait pascréé tous ces emplois.
Coût de l’ISS : 150 milliards de dollars
Il est d’ailleurs souvent reproché au programme de coûter trop cher. Une hérésie pour le membre de l’Agence spatiale européenne : « C’est un discours de businessmen. La recherche n’a pas pour but de gagner de l’argent mais du savoir », s’agace-t-il. En pratique, le programme a coûté environ 150 milliards de dollars depuis son lancement. Mais ramené au prix payé par an pour chaque habitant, il semble plus raisonnable : « Ce programme coûte un euro par an et par habitant. L’arrêter ne va pas changer la société. »Les voyages sur Mars en ligne de mire
L’autre intérêt de l’ISS tient dans la capacité à préparer les futurs voyages spatiaux. Notamment ceux sur Mars. « Pour cela, il faut exposer les astronautes à un environnement sans pesanteur sur une longue durée », assure l’ancien astronaute. Car l’absence de pesanteur a de gros impacts sur le corps humain.
« À bord de l’ISS, les astronautes sont obligés de faire 2 heures 30 de sport par jour »,rappelle celui qui forme désormais les astronautes qui partent en mission dans ce laboratoire international en orbite. La raison ? En l’absence de pesanteur, la masse musculaire et osseuse des astronautes baisse. Et sans sport, ils pourraient se blesser gravement.
Aujourd’hui,les missions dans l’ISS durent en moyenne six mois. Mais trois missions d’une durée d’un an sont prévues dans les années à venir. Car pour se rendre sur Mars, il faudrait près de 800 jours dans des conditions similaires. « On doit absolument comprendre comment le corps se comporte dans ces conditions et combien de temps il peut tenir », insiste Jean-François Clervoy.
Des études sur la psychologie des astronautes confinés
Les astronautes font ainsi des biopsies osseuses et musculaires au départ et à l’arrivée de chaque mission. « Aujourd’hui, on imagine même qu’il faudrait pouvoir créer artificiellement de la pesanteur pour faire un tel voyage » vers Mars, ajoute le scientifique.
Enfin, l’ISS permet une chose pour laquelle elle n’était initialement pas prévue : réaliser des études psychologiques. « Il s’agit d’une opportunité pour les psychologues aussi. Ils peuvent proposer des expériences qui sont retenues en fonction des ressources disponibles », complète l’ancien astronaute. Notamment sur l’impact d’un si long confinement. Des connaissances encore une fois difficiles à monnayer. Mais pas inutiles pour autant
L'utilisation de l'ISS en tant que plate-forme scientifique n'a guère convaincu et, mise à part l'expérience technologique acquise dans la fabrication et l'intégration de modules dans l'espace, et les études comportementales des hommes et des femmes en milieu spatial, la station n'a tenu aucune des promesses annoncées par la Nasa à l'origine du projet : fabrication de matériaux et médicaments révolutionnaires dans l'espace, utilisation de la station comme « hub » spatial pour vaisseaux et satellites, base spatiale et orbite pour de futures destinations, etc. Ses nombreux détracteurs, et parmi eux les Russes, n'hésitent pas désormais à affirmer, non sans humour que dans l'ISS, les astronautes tournent en rond depuis vingt ans… […]L'avenir de l'ISS est incertain. Son coût pharaonique ampute les budgets des agences spatiales, qui rêvent désormais de se désengager du programme pour investir dans une nouvelle station spatiale qui tournera non plus autour de la Terre mais autour de la Lune, le LOP-G. La Station spatiale internationale va être progressivement abandonnée […] ou plus probablement désorbitée, avant 2030, pour qu'elle retombe sans risque dans l'océan Pacifique, comme sa devancière soviétique, la station Mir.Serge Brunier, La conquête spatiale de A à Z, Gallimard Loisirs, 2019.