Il faut dire que cet argent sera utilisé dans un grand nombre de pays, et servira à financer une quantité pharaonique de projets différents. Dans l’ensemble, la Chine souhaite «améliorer la connectivité» entre l’Empire du milieu, «le marché européen, le sud-est asiatique et le Moyen-Orient», relève la direction du Trésor dans une note publiée en octobre dernier. Ports, réseaux ferrés, infrastructures de commerce, pipelines… Le champ embrassé par la BRI est tout aussi flou que son domaine géographique. Par exemple, l’AIIB a soutenu l’amélioration du réseau d’eau des zones urbaines de l’État indien d’Andhra Pradesh, le développement d’infrastructures touristiques dans la région de Mandalika, sur l’île de Lombok, en Indonésie, ou encore la construction d’une nouvelle ligne de métro à Bangalore, en Inde, et le renforcement des réseaux de télécommunication à Oman. Vaste programme, donc, qui ne cesse d’étendre ses ramifications.
Le Figaro, Wladimir Garcin-Berson,26/03/2019
En quoi l'année 2013 a-t-elle constitué un tournant ?
La Chine n'a pas attendu 2013 pour développer ce type de projets. Prenez par exemple le corridor Chine-Pakistan : c'était déjà le lieu d'investissements importants avant cette date. Les Chinois n'ont pas débarqué à Gwadar du jour au lendemain ! Et la Chine s'employait déjà depuis 2005-2006 à sécuriser son approvisionnement énergétique depuis l'Arabie saoudite, l'Arménie, l'Iran : elle allait elle-même chercher et exploiter de nouveaux champs d'extraction de pétrole ou de gaz et sécurisait les routes, maritimes comme terrestres, pour acheminer ces ressources jusqu'à elle - c'est là l'objectif premier du « collier de perles ». Mais les « nouvelles routes de la soie » ont donné à ces projets dispersés une véritable cohésion, une vision d'ensemble.
Surtout, 2013 a marqué une explosion des montants financiers en jeu. C'est dans la foulée du discours de Xi Jinping que la BAII a vu le jour,fin 2014-début 2015. Mais ce n'est pas cette institution qui finance le plus de projets, ce sont principalement des fonds chinois : des banques chinoises, comme l'Industrial and Commercial Bank of China (ICBC) ou la China Development Bank, mais aussi des fonds spécialement créés autour des « nouvelles routes de la soie ». Au total, sur les 12 000 milliards de dollars de besoins en infrastructures dans la région, la Chine prévoit d'en couvrir, d'ici dix ans, environ 1 200 milliards, contre 5 milliards seulement pour la BAII. C'est huit fois le plan Marshall !
L'Histoire , mai 2019, Interview de JF Huchet