La présence chinoise en Amérique latine passe aussi par la technologie. En Bolivie,l’entreprise Huawei fournit ses services de télécommunication à des millions d'utilisateurs et ZTE a été désigné comme le fournisseur exclusif du réseau haut débit du pays. En Équateur,un système de surveillance des espaces publics développé par la Chine a été mis en place : des images filmées dans tout le pays par 4 300 caméras sont traitées dans seize centres de surveillance par trois mille policiers et agents du renseignement. Au Venezuela, la technologie chinoise a servi à élaborer un nouveau document d’identité, le « carnet de la patrie » devenu nécessaire en 2017 pour bénéficier des programmes sociaux octroyés par l’État. Les militants des droits de l'homme craignent de le voir utilisé à des fins de surveillance de l’espace public ou pour porter atteinte à la vie privée.
Au-delà de l’Amérique latine, ces craintes sont récurrentes chaque fois que la Chine met en place sa technologie, notamment via les réseaux de fibre optique. Plusieurs grands groupes chinois ont obtenu des contrats pour en construire en Asie (Birmanie, Bangladesh, Cambodge,Kirghizstan, Népal) et en Afrique (Ouganda). Pourtant, des interrogations planent sur les risques de fuite de données. D’autres institutions affiliées à l’État chinois proposent leurs produits de cybersécurité sur les marchés nationaux des pays partenaires (CloudWalk au Zimbabwe, Yitu en Malaisie, etc.), faisant craindre que la « grande muraille électronique » chinoise et son contrôle massif d’Internet ne deviennent un modèle largement adopté.
Nashidil ROUIAÏ, « NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 2 novembre 2022. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/nouvelles-routes-de-la-soie/
Dans le Xinjiang, les habitants ouïgours, musulmans et turcophones, majoritaires dans cette région périphérique, subissent colonisation, sinisation et répressions des autorités de Pékin.
Quand le pouvoir communiste prend par les armes, en 1949, le contrôle du Xinjiang, où une petite république indépendante du Turkestan oriental avait été fondée cinq ans plus tôt, l’ethnie majoritaire en Chine des Han n’y représente alors que 7 % de la population. La province devient « région autonome ouïgoure du Xinjiang » en 1955.
Pour la siniser, Pékin envoie des colons et crée des bingtuan, un corps paramilitaire chargé de défricher les terres arables et d’exploiter les ressources. Ils emploient aujourd’hui 2,8 millions de personnes – han pour l’écrasante majorité –, produisant près de 17 % du produit intérieur brut de la région. Les administrations et les sociétés d’Etat sont d’autres vecteurs majeurs d’implantation.
Sous leur impulsion se développent les villes de Korla et de Karamay, qui ont toutes deux prospéré grâce à l’exploitation pétrolière, ou encore Shihezi, villes à 95 % han, dont l’économie repose sur l’agriculture intensive du coton et de la tomate
En 2009, des émeutes interethniques à Urumqi font 200 morts, enclenchant une spirale de violence-répression dans le sud du Xinjiang. Les cadres communistes fouillent les foyers en quête de signes de radicalisation. Incidents et attaques se multiplient contre des représentants de l’autorité, tandis que les forces spéciales chinoises multiplient les bavures. En 2013 et 2014, la Chine connaît ses premiers attentats terroristes, perpétrés par des djihadistes ouïgours, s’inspirant parfois de groupuscules islamistes d’Asie centrale sévissant en Afghanistan, au Pakistan puis en Syrie.
Le Xinjiang devient alors le dernier endroit où veulent aller les Han. Les migrations fléchissent, par crainte des violences. Des Han du Xinjiang, de seconde ou de troisième génération, quittent même la région pour d’autres provinces chinoises. Cela ne freine pas le développement : en 2014, un chemin de fer relie pour la première fois Hotan à Kachgar. Le train à grande vitesse s’apprête à connecter Urumqi au reste de la Chine.
A partir de 2017, entre 1 million et 2 millions de Ouïgours sont déportés pour des motifs arbitraires dans des centres d’internement
Ce climat d’instabilité conduit le pouvoir central à mettre en œuvre, à partir de 2017, une solution radicale et disproportionnée : entre 1 million et 2 millions de Ouïgours sont déportés pour des motifs arbitraires, souvent anodins, dans des centres d’internement. Ils y subissent un endoctrinement forcé pour une durée indéterminée, peuvent être envoyés en prison, à l’usine pour du travail forcé, ou chez eux sous une surveillance permanente – humaine et électronique. Ceux qui y échappent sont tétanisés.(...)
Sur le long terme, cette sécurisation-sinisation sert un objectif stratégique : sécuriser la porte de sortie que constitue le Xinjiang vers la partie terrestre des grands projets des « routes de la soie », c’est-à-dire l’Asie centrale, la Russie et le Pakistan.
L’enjeu est de donner une profondeur stratégique à la Chine, pour assurer ses approvisionnements (via des oléoducs et gazoducs), mais aussi ses exportations. Ce qui permet de réduire sa vulnérabilité en cas de conflit militaire sur la question de Taïwan, ou si se produisaient des incidents dans l’Indo-Pacifique, où sa montée en puissance rend nerveux les autres pays.