Si le chef de la diplomatie américaine était prêt à faire le déplacement à Paris, ce n’était par pour participer à une énième conférence sur « l’investissement dans des infrastructures de qualité »,mais bien pour présenter devant les représentants des alliés les plus proches de Washington les grandes lignes du projet multilatéral baptisé «Blue Dot Network (BDN) », lancé sous l’administration Trump et réactivépar celle de son successeur à la présidence.
Dévoilée pour la première fois en novembre 2019, lors de la 35e assemblée de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) organisée à Bangkok, cette initiative a pour ambition d’équiper les pays en développement d’infrastructures modèles et réalisées en toute transparence, dans le respect des normes environnementales et des lois de rentabilité du marché.(...)
Pour concurrencer la Belt & Road Initiative (BRI) de Pékin, Washington compte sur son futur réseau de petits points bleus, comme notre planète vue depuis l’espace, constitué d’un ensemble d’infrastructures high-tech réalisées en partenariat avec le secteur privé, selon les meilleurs pratiques politiques, économiques et écologiques, pour être certifiées « BDN ».(...)
DFC, acteur central de l’initiative Blue Dot Network, est très présent en Afrique. L’an dernier, l’institution américaine a approuvé pas moins de 650 millions de dollars de financements pour des projets menés en Afrique et des institutions établies sur le continent, dont un prêt de 250 millions de dollars en faveur d’Africa Finance Corporation, spécialiste des infrastructures, un crédit de 50 millions de dollars pour la construction d’un hôtel Marriott à Addis-Abeba, et un autre de 200 millions de dollars pour la construction de la Centrale électrique de Temane, au Mozambique. (...)
Les Occidentaux, inquiets de la dépendance de certains pays en voie de développement vis-à-vis de Pékin, ont mis en place de nouveaux programmes de soutien à ces économies.
Washington a doublé, à 60 milliards de dollars, le budget annuel de son agence de développement rebaptisée International Development Finance Corporation (DFC). Fin 2019, elle a prêté 190 millions de dollars à une entreprise américaine pour aménager le plus grand réseau de câbles sous-marins à fibres optiques entre les Etats-Unis et l’Asie, une alternative à celui construit par le chinois Huawei.
Le Monde , Par Julien Bouissou Publié le 13 décembre 2021
Dans son ouvrage le Grand Echiquier, Zbigniew Brzezinski écrit que toute nation qui désire s’affirmer comme la première puissance mondiale doit contrôler le continent eurasiatique. Paru en 1997, cet ouvrage est un classique de stratégie et de géopolitique et donne un éclairage intéressant de la politique extérieure des Etats-Unis. Elle explique leur constant besoin d’influence en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, et explique les rapports de force durant la Guerre froide de façon pertinente.
De nos jours, cet ouvrage paraît toujoursaussi éclairant. Alors que la puissance des Etats-Unis est mise en concurrence par la Chine, leurs volontés d’assoir leur influence sur cet espace est manifeste et s’observe aisément. Dans le cas de la Chine, cette volonté se nomme « Belt and Road Initiative », que l’on nomme en français le projet des nouvelles routes de la soie. Ce projet qui se veut concurrent aux moyens d’acheminements actuels, c’est à dire essentiellement maritime et terrestre, est une façon non seulement de faciliter les exportations chinoises, mais aussi d’étendre son influence.(...)
Évidemment, les Etats-Unis ne voient pas cette initiative d’un bon œil. Si passer par la terre est pour l’instant plus onéreux que la voie classique, ce ne sera pas toujours le cas, et ces nouvelles routes de la soie permettant déjà de réduire les temps de trajet entre la Chine et l’Europe. De plus, l’investissement continu dans ces infrastructures va permettre de réduire encore plus les temps de transit. Ces nouvelles routes de la soie évite largement les partenaires privilégiés des Etats-Unis dans le Golfe Arabo-persique et leur préfère l’Iran. Les nouvelles routes de la soie sont donc un excellent moyen pour la Chine de développer son influence, au détriment des Etats-Unis, en établissantdes voies de communications qui échappent à leur contrôle et à celui de ses partenaires privilégiés, au profit de ceux qui ont fait le choix de la République Populaire.(...)
Pour l’instant, cette lutte d’influence se situe dans deux territoires clés : l’Asie de l’Est, point d’entrée du continent, et le moyen-orient, pivot fondamental pour le contrôle des flux de marchandises et de ressources clés pour les activités économiques.
C’est notamment pour ces raisons que la VIIe flotte des Etats-Unis, autrefois considérée comme toute puissante dans le Pacifique mène régulièrement des opérations de « liberté de navigation », les fameuses FONOM. La marine chinoise s’y oppose de plus en plus. Plusieurs incidents ont eu lieu cette année, où il y a failli avoir plusieurs collisions entre navires chinois et états-uniens. Le renforcement des capacités navales chinoises est manifeste, avec la mise en service de deux porte avions, le troisième, nucléaire, de fabrication entièrement chinoise, étant à venir.
Le deuxième territoire où se déroule cet affrontement d’influences est au Moyen-Orient. Les Etats-Unis cherchent à imposer leur volonté à l’Iran, alors que la Chine y développe des partenariats commerciaux. Washington rêve de remplacer le régime actuel en un régime pro-américain. Les discours du conseiller de la Maison Blanche à la sécurité, John Bolton, sont tout à fait explicites sur la question.