Identifier, protéger et valoriser le patrimoine: enjeux géopolitique
THGGSP Thème 5

Axe 1

Jalon 2 Conflits du patrimoine .Les frises du Parthénon depuis le XIX°s

Frises du Parthénon : bataille diplomatique entre Athènes et Londres
Un joyau du patrimoine grec fait l'objet en ce moment d'une rude bataille diplomatique entre Athènes et Londres. L'œuvre en question est une fresque marbrée du Parthénon, actuellement exposée au British Museum mais réclamée par tout le peuple grec.
Original link
Marbres du Parthénon, l'éternel retour

Guerre de position entre la Grèce et l'Angleterre depuis près de deux cents ans, l'affaire de la restitution des marbres du Parthénon connaît un nouveau rebondissement avec l'implication récente de l'Unesco.

L'intervention de l'Unesco peut-elle faire bouger les lignes ?

Rien n'est moins sûr, et pourtant le confit ne date pas d'hier. Les Grecs renouvellent vainement leur demande depuis leur indépendance en 1821. De la fondation d'un musée à Athènes destiné à abriter les vestiges de l'Acropole - qui n'expose, à ce jour, qu'une réplique - à la demande de prêt pour le bicentenaire de la révolution, toute tentative reste lettre morte. Énième démarche diplomatique, l'implication du Comité intergouvernemental "Retour et restitution" de l'Unesco devrait se heurter, comme les autres, au British Museum Act de 1963, qui empêche le retour des œuvres à leur pays d'origine.

L'inamovible position du gouvernement anglais...

"Ces sculptures (...) ont été acquises légalement par Lord Elgin, conformément aux lois en vigueur à l'époque", maintenait encore Boris Johnson, en mars dernier, dans le quotidien grec Ta Nea. L'aristocrate britannique aurait obtenu du pouvoir ottoman l'autorisation de collecter des fragments qui, selon lui, seraient mieux conservés en Angleterre. Or, s'il est un argument qui ne tient plus, c'est bien celui de la qualité de la préservation. Des infiltrations d'eau, constatées en août dernier au British Museum, menacent les œuvres et empêchent leur accès au public. La ministre grecque de la Culture, Lina Mendoni, n'a pas manqué de les pointer du doigt.

L'opinion publique est-elle favorable ?

Face à un gouvernement qui ne bronche pas, la population se montre, elle, très favorable. Une étude de YouGov révèle qu'en 2018 une majorité des Britanniques souhaitait la restitution des marbres. Dans un édito de février 2020, l'influent quotidien The Guardian s'en fait l'écho et analyse : "Rendre les marbres du Parthénon à Athènes (...) démentirait l'idée que la Grande-Bretagne est tant fascinée par son empire perdu qu'elle est incapable de restaurer une injustice". Un comité anglais pour la réunification des marbres du Parthénon, aujourd'hui présidé par l'actrice britannique Janet Suzman, milite aussi depuis 1983 en ce sens. Il avait été fondé par des chercheurs et des figures intellectuelles un an après l'adoption d’une recommandation en faveur de la restitution des marbres prise par le Forum des ministres de la Culture du monde entier réuni par... l'Unesco.

Léa Malgouyres, Télérama, n° 3746, 27 octobre 2021.
Posted by yannmorel
Un juste retour des choses ?

Le 23 novembre, un sondage de l'institut d'études YouGov révélait que, pour deux tiers des Anglais, les marbres du Parthénon, conservés au British Museum depuis 1817, devraient appartenir à la Grèce et non plus à la Grande-Bretagne... Le célèbre bas-relief, d'une longueur de 70 mètres et datant de deux mille cinq cents ans, fut prélevé sur le temple et acheté (ainsi que des sculptures) par l'ambassadeur anglais aux Ottomans, qui dirigeaient alors le pays. Acquisition faite en toute légalité, ont toujours avancé les Britanniques, refusant les nombreuses demandes de restitution émises par Athènes. Accord sans valeur, rétorquent les Grecs, lesquels, à l’époque du transfert, n'avaient évidemment pas été consultés. L'affaire dure depuis deux siècles. Les temps changent. A Londres, des étudiants organisent désormais au British Museum des visites spéciales pillage, spoliation et racisme, intitulées les "visites inconfortables". Et si, il y a encore quelques mois, Boris Johnson rejetait toute idée de retour des "Parthenon Marbles", il laisse maintenant au Museum le choix... de décider ! Or si le British rend les frises, il ouvrira une boîte de Pandore - ce qu'a déjà fait en France le chef de l’État en promettant, en 2017, la restitution du patrimoine culturel africain rapporté durant la période coloniale. Le musée londonien conserve en effet d'autres objets réclamés de longue date, tels les bronzes du Bénin (Nigeria), la pierre de Rosette (Égypte) ou un moaï de l'île de Pâques (Chili). Côté français, on notera que la Victoire de Samothrace, encore un chef d’œuvre de l'Antiquité grecque, qui se trouve au Louvre, fut acquise de la même façon que les frises du Parthénon : par un diplomate français, qui l'avait achetée aux Turcs...

Sophie Cachon, Télérama, n° 3752, 8 décembre 2021, p. 13.
Posted by yannmorel

« Le conflit entre la Grèce et le British Museum pour la restitution, ou non, des frises du Parthénon, est un cas d’école »

Athènes réclame depuis près de quarante ans les œuvres d’art emportées par l’ambassadeur britannique Lord Elgin au XIXe siècle. Dans sa chronique, Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde », explique en quoi ce différend est exemplaire du problème des restitutions.

Chronique. Un comité de l’Unesco vient d’inviter le Royaume-Uni à restituer à la Grèce les frises du Parthénon. L’information a fait flop tant elle s’apparente à une ritournelle. Athènes, avec une ténacité qui force l’admiration, revendique ces marbres sculptés depuis quarante ans. Mais Londres ne cille pas, ni le vénérable British Museum, qui les expose. Alors pourquoi en parle-t-on ? Parce que ce conflit est fascinant. Il constitue un cas d’école. Il est exemplaire du problème, complexe et brûlant, des restitutions d’œuvres d’art en général.

Reprenons. En 1802, l’ambassadeur britannique Lord Elgin emporte une petite moitié des 160 mètres de la frise sculptée au Ve siècle av. J.-C. qui ceinturait le Parthénon, ce temple dédié à Athéna toisant Athènes. Comme il n’est pas aveugle, il ne prend pas les plus laides. Et comme il doit rentrer dans ses sous, il les revend à l’Angleterre.

Le conflit entre les deux pays est officiellement ouvert en 1983 par l’actrice Melina Mercouri, alors ministre socialiste grecque de la culture. Le pays entretient ensuite la flamme de la restitution. En pure perte, tant les arguments de chaque camp forment un dialogue de sourds.

Londres affirme que Lord Elgin négocia avec l’autorité compétente de l’époque, l’Empire ottoman, qui occupait alors la Grèce. Athènes répond que ledit empire ne représentait pas son peuple. Londres répète qu’Elgin agit en toute légalité. Athènes oppose des recherches récentes montrant que le diplomate n’obtint qu’un prêt, devenu un vol, certains parlant même de « pillage ». Le Royaume-Uni avance que les frises ont le statut de patrimoine commun de l’humanité et que le British Museum (6 millions de visiteurs par an) permet à tous de les admirer. Athènes rétorque que ces chefs-d’œuvre sont constitutifs de son identité.

« Musée lumineux » contre « prison obscure »

La Grèce estime encore que le Parthénon, amputé de ses frises, perd en compréhension. Elle reprend à sa façon la thèse du précurseur Antoine Quatremère de Quincy, qui, dans ses Lettres à Miranda (1796), écrit que les œuvres d’art appartiennent aux pays qui les ont vues naître, au nom du principe « diviser c’est détruire ». A cette thèse, le directeur du British Museum, Hartwig Fischer, répond, en 2019, au quotidien grec Ta Nea que la présentation des marbres en son musée est un « acte créatif ». C’est peu de dire qu’il a indigné.
Le dernier argument grec, de poids celui-ci, survient en 2009, quand le pays inaugure le très réussi Musée de l’Acropole, dessiné par l’architecte suisse Bernard Tschumi. Un étage entier reconstitue en taille réelle les quatre côtés du temple, avec les frises restées en Grèce. Celles de Londres sont remplacées par des moulages. En attendant leur retour…
Avec ce musée, le British Museum a pris en boomerang son argument selon lequel Athènes n’offrait pas un lieu digne de ce nom pour présenter les frises. C’est ainsi que l’ancien président Prokopis Pavlopoulos, en 2019, oppose « le musée lumineux » d’Athènes à « la prison obscure » du British Museum. L’Unesco en rajoute en constatant qu’en août 2021 une infiltration d’eau a endommagé les galeries grecques du musée londonien,dont celles où se trouvent les frises – les salles sont toujours fermées.
La Grèce est revenue à la charge en mars lors des cérémonies du bicentenaire de son indépendance. Certains ont caressé la fibre helléniste du premier ministre, Boris Johnson, qui passe régulièrement des vacances en Thessalie. Ce dernier est resté de marbre. Au moins, il est resté courtois. En 2014, quand il était maire de Londres, il n’a pas hésité à établir un parallèle entre Hitler et l’acteur George Clooney, qui demandait le retour des frises.

Jeu biaisé

Des dizaines de personnalités, de l’ancien ministre de la culture Jack Lang jusqu’à l’acteur Liam Neeson, soutiennent la Grèce. La charge la plus rude est venue de Geoffrey Robertson, célèbre avocat, défenseur de l’écrivain Salman Rushdie et conseiller de la reine d’Angleterre. « Il est temps de rendre le butin »,écrit-il, en 2019, dans un journal australien. Des sondages montrent que même les Britanniques sont divisés sur la question – les anti-Brexit sont plutôt favorables à la restitution, et inversement

L’océan des soutiens à la Grèce cache un jeu biaisé car les grands musées occidentaux en sont absents. Pour une raison simple. La position britannique constitue pour eux une digue. Si elle tombe, la vanne des restitutions pourrait s’ouvrir, dont les effets concerneraient des dizaines de milliers d’œuvres acquises dans des conditions contestables.

La Grèce a un autre problème. Son combat met en jeu deux pays européens et ce n’est plus dans l’air du temps. Le curseur des restitutions, depuis peu, s’est déplacé vers les pays du Sud, qui s’estiment pillés. Le nouveau ton a été donné par Emmanuel Macron, à Ouagadougou en 2017, affirmant « qu’il faut tout faire » pour que le patrimoine culturel africain revienne en Afrique.

Les mots ont paniqué les milieux des musées et de l’art en général. Ces derniers s’inquiètent d’un climat de repentance, dont les objets d’art seraient les otages. Et puis, la notion de musée « universel », propre à justifier la réunion des richesses du monde en un seul endroit, est de plus en plus critiquée comme étant uniquement au profit de musées occidentaux

.

Mais depuis quatre ans, et en dépit d’un rapport public épousant les mots du président de la République, c’est plutôt le statu quo. Hormis quelques objets symboliques rendus au Sénégal ou au Bénin, servant de monnaie d’échange dans le jeu diplomatique, on ne prend pas le chemin de restitutions massives. C’était couru d’avance. Outre qu’une position de principe sur les restitutions, dans un sens ou dans un autre, se heurte souvent au pedigree spécifique de chaque objet, le destin des frises du Parthénon rappelle que le sujet, pour l’instant, est d’abord guidé par des postures bien plus politiques que liées aux subtilités complexes de l’histoire de l’art.

Michel Guerrin,08 octobre 2021 , le Monde

Pourquoi les frises du Parthénon sont-elles au centre d'un conflit patrimonial ?

Posted by yannmorel

En quoi la restitution des frises du Parthénon n'est pas uniquement un problème entre les grecs et les britanniques ?