Chronique. Un comité de l’Unesco vient d’inviter le Royaume-Uni à restituer à la Grèce les frises du Parthénon. L’information a fait flop tant elle s’apparente à une ritournelle. Athènes, avec une ténacité qui force l’admiration, revendique ces marbres sculptés depuis quarante ans. Mais Londres ne cille pas, ni le vénérable British Museum, qui les expose. Alors pourquoi en parle-t-on ? Parce que ce conflit est fascinant. Il constitue un cas d’école. Il est exemplaire du problème, complexe et brûlant, des restitutions d’œuvres d’art en général.
Reprenons. En 1802, l’ambassadeur britannique Lord Elgin emporte une petite moitié des 160 mètres de la frise sculptée au Ve siècle av. J.-C. qui ceinturait le Parthénon, ce temple dédié à Athéna toisant Athènes. Comme il n’est pas aveugle, il ne prend pas les plus laides. Et comme il doit rentrer dans ses sous, il les revend à l’Angleterre.
Le conflit entre les deux pays est officiellement ouvert en 1983 par l’actrice Melina Mercouri, alors ministre socialiste grecque de la culture. Le pays entretient ensuite la flamme de la restitution. En pure perte, tant les arguments de chaque camp forment un dialogue de sourds.
Londres affirme que Lord Elgin négocia avec l’autorité compétente de l’époque, l’Empire ottoman, qui occupait alors la Grèce. Athènes répond que ledit empire ne représentait pas son peuple. Londres répète qu’Elgin agit en toute légalité. Athènes oppose des recherches récentes montrant que le diplomate n’obtint qu’un prêt, devenu un vol, certains parlant même de « pillage ». Le Royaume-Uni avance que les frises ont le statut de patrimoine commun de l’humanité et que le British Museum (6 millions de visiteurs par an) permet à tous de les admirer. Athènes rétorque que ces chefs-d’œuvre sont constitutifs de son identité.
L’océan des soutiens à la Grèce cache un jeu biaisé car les grands musées occidentaux en sont absents. Pour une raison simple. La position britannique constitue pour eux une digue. Si elle tombe, la vanne des restitutions pourrait s’ouvrir, dont les effets concerneraient des dizaines de milliers d’œuvres acquises dans des conditions contestables.
La Grèce a un autre problème. Son combat met en jeu deux pays européens et ce n’est plus dans l’air du temps. Le curseur des restitutions, depuis peu, s’est déplacé vers les pays du Sud, qui s’estiment pillés. Le nouveau ton a été donné par Emmanuel Macron, à Ouagadougou en 2017, affirmant « qu’il faut tout faire » pour que le patrimoine culturel africain revienne en Afrique.
Les mots ont paniqué les milieux des musées et de l’art en général. Ces derniers s’inquiètent d’un climat de repentance, dont les objets d’art seraient les otages. Et puis, la notion de musée « universel », propre à justifier la réunion des richesses du monde en un seul endroit, est de plus en plus critiquée comme étant uniquement au profit de musées occidentaux
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Mais depuis quatre ans, et en dépit d’un rapport public épousant les mots du président de la République, c’est plutôt le statu quo. Hormis quelques objets symboliques rendus au Sénégal ou au Bénin, servant de monnaie d’échange dans le jeu diplomatique, on ne prend pas le chemin de restitutions massives. C’était couru d’avance. Outre qu’une position de principe sur les restitutions, dans un sens ou dans un autre, se heurte souvent au pedigree spécifique de chaque objet, le destin des frises du Parthénon rappelle que le sujet, pour l’instant, est d’abord guidé par des postures bien plus politiques que liées aux subtilités complexes de l’histoire de l’art.
Michel Guerrin,08 octobre 2021 , le Monde