La Vᵉ République a 65 ans : retour sur quelques réformes constitutionnelles phares
Depuis sa promulgation le 4 octobre 1958, la Constitution actuelle a déjà été réformée 24 fois, le plus souvent sous la présidence Chirac . Certaines réformes ont néanmoins marqué durablement la société française
L’élection du président de la République au suffrage universel direct
Élu le 21 décembre 1958 par un collège de grands électeurs, Charles de Gaulle avait pour objectif d’inscrire l’élection présidentielle au suffrage universel direct dans la constitution française bien avant de revenir au pouvoir. Il avait annoncé ce projet lors de son discours de Bayeux (16 juin 1946), considérant que cela permettrait à la fois d’établir un lien plus direct entre le chef de l’État et les citoyens et d’accorder une plus grande légitimité au président élu.
Les circonstances tumultueuses de son retour au pouvoir en mai 1958 ainsi que la mémoire vivace du coup d’État de 1851 par Louis-Napoléon Bonaparte contraignent le général de Gaulle et son entourage à faire des concessions. Après avoir proposé initialement l’inscription de l’élection du président au suffrage universel direct dans la nouvelle constitution par l’entremise de Michel Debré, le comité consultatif constitutionnel décide de former un collège de grands électeurs. L’objectif est d’élargir la base électorale sans prêter le flanc aux accusations de tentation dictatoriale gaulliste que l’élection au suffrage universel direct permettrait.Souhaitant revenir sur ce point, le général de Gaulle profite de l’émotion suscitée par l’attentat du Petit-Clamart pour annoncer une réforme constitutionnelle permettant l’élection du président de la République au suffrage universel direct via un référendum. Malgré une vive campagne des opposants de tous bords politiques qui appellent à voter contre cette réforme qui permettrait à un « dictateur » d’agir librement (le bien nommé « cartel des non »), le « oui » l’emporte aisément (62 %) le 28 octobre 1962. Si l’idée initiale était de faire du chef de l’État un « arbitre » entre le gouvernement et le Parlement, l’élection au suffrage universel direct, couplée à la posture gaullienne, acte le déplacement de l’essentiel du pouvoir exécutif de Matignon à l’Élysée.Le passage au quinquennat
Il faut attendre 2000 pour que le sujet revienne sérieusement dans les discussions. Le 10 mai, dans une tribune au Monde, VGE appelle à une réduction du mandat présidentiel à cinq ans. Certains chiraquiens (tel François Baroin) y voient une tentative de l’ancien président de saper le mandat de son rival, alors qu’il avait précisé dans sa tribune que ladite réforme ne s’appliquerait pas au mandat en cours mais à partir du suivant, en 2002.
Il faut se souvenir du contexte du moment. Depuis 1997, la France connaît sa troisième cohabitation. Lionel Jospin dirige un gouvernement de coalition de partis de gauche avec un président de droite, Jacques Chirac. L’idée derrière la proposition de VGE est de renforcer le caractère présidentiel du régime et de réduire les risques de cohabitations en synchronisant les élections présidentielles et législatives. Lionel Jospin s’y rallie immédiatement au motif qu’il s’agirait d’une réforme plus démocratique – les électeurs s’exprimeraient plus souvent sur le choix du chef de l’État.
Ce plan déplaît à l’origine au président Chirac, qui finit toutefois par s’y rallier en imposant ses conditions : pas de limite du nombre de mandats réalisable, pas d’autres changements sur le statut présidentiel. Jacques Chirac exige également que le changement s’opère par référendum et non auprès du Parlement. Une décision qui se solde le 24 septembre 2000 par une adoption du quinquennat présidentiel avec 73 % de « oui », mais moins d’un tiers des électeurs s’est exprimé dans les urnes !
L’instauration définitive de l’« hyper-présidence » en 2008
Le 23 juillet 2008, la réforme constitutionnelle est promulguée. Les changements sont conséquents :
le président de la République ne peut plus assurer que de deux mandats consécutifs ;
le Conseil économique, social et environnemental et le Conseil supérieur de la magistrature sont réformés (le CESE s’ouvre à des associations environnementales et de jeunesse et peut être saisi par des pétitions citoyennes ; le CSM n’est plus dirigé par le chef de l’État et le ministre de la Justice, sa composition change pour donner plus de place à la société civile) ;
la fonction de défenseur des droits est créée (pouvoir consultatif non contraignant, émet simplement des recommandations qui peuvent ne pas être suivies) ;
l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent désormais fixer librement leurs agendas ;
le chef de l’État peut convoquer le Congrès pour s’adresser solennellement à tous les parlementaires ;
le référendum d’initiative partagée (RIP) est créé, permettant aux parlementaires de le saisir dans des conditions strictes, etc.
Malgré quelques ajouts qui semblent accorder plus de latitude d’action aux pouvoirs législatif et juridique, le pouvoir présidentiel reste immense. Les contre-pouvoirs ressortent plus affaiblis que renforcés, incitant des hommes favorables à la réforme comme Jean-Pierre Raffarin à les renforcer pour que la présidence de la République ne se réduise pas à « l’exercice solitaire du pouvoir ».
Rapidement, le constat émis par la presse et les oppositions se veut même alarmant. Nicolas Sarkozy, déjà qualifié d’« hyper-président » par sa forte présence médiatique en 2007, aurait renforcé les capacités d’action du pouvoir exécutif à travers celui de l’Élysée qu’il aurait gravé dans le marbre par son style (la fameuse « hyper-présidence », qualifiée depuis plusieurs années de « pouvoir jupitérien » pour souligner la différence de personnalité avec le président actuel).
De plus en plus de citoyens manifestent également la volonté d’inverser la tendance actuelle à la verticalité en y intégrant un pouvoir plus horizontal, comme la réforme des retraites l’a encore si bien rappelé ces derniers mois. Cela n’a rien d’impossible, la constitution de la Ve République a su démontrer à plusieurs reprises sa capacité d’adaptation et sa grande souplesse. Tout est question de volonté politique.
D'arès The Conversation , 3 oct 2023