Le long du gave d’Oloron, dans les Pyrénées-Atlantiques, architectes, artistes, paysagistes et restaurateurs réinventent la ruralité en créant des lieux de vie, de rencontre et d’habitation en harmonie avec le territoire.
« A la fin des années 1990, à Sauveterre-de-Béarn, il y avait un salon de coiffure, une boulangerie, toutes sortes de commerces… Les mamies sortaient dans l’après-midi, se posaient sur un banc pour bavarder, les gens se parlaient dans la rue… Et puis un jour, le Leclerc est arrivé. Et le village est mort : les gens sont partis vivre dans les pavillons alentour, tous les commerces ont fermé. C’est très récent que des jeunes reviennent, et qu’ils trouvent ça beau. » (...)
Dissoute dans la pollution des métropoles, l’idée d’un futur désirable renaîtra-t-elle à la campagne ? C’est ce que veulent croire de plus en plus de citadins qui, comme Louis Merle d’Aubigné, larguent les amarres pour s’y réinventer. Comme terre d’accueil, cette région a de sérieux atouts : douceur du climat, splendeur des paysages et des villages, culture vivace, immobilier bien moins cher qu’en ville même si les prix commencent, ici aussi, à monter en flèche…
Laura Shiffman a franchi le pas en 2016. D’origine parisienne, cette trentenaire a ouvert à Sauveterre un restaurant, La Légende (qu’elle vient de revendre), conçu de A à Z comme une utopie écologique et sociale : approvisionnement en circuit ultracourt, conservation des légumes dans un cellier ventilé naturellement, cuisine au feu de bois, travail des parties non nobles de la viande pour maintenir les prix dans une fourchette raisonnable… Pour l’architecture, elle a trouvé des alliés de choix, Julien et Anna Chavepayre, associés fondateurs de Collectif Encore, fraîchement implantés eux aussi dans la région, dans le village de Labastide-Villefranche (Pyrénées-Atlantiques). A l’écoute de son exigence radicale, capables de combiner économie de moyens et
tendresse pour le détail, ils l’ont aidée à créer le lieu dont elle rêvait, un carburateur biodynamique qui soit à la fois un activateur
social et un adjuvant possible à la revitalisation du village. Et ils l’ont fait gratuitement.(...)
La dynamique est la même dans toute la région. Elle se conjugue à une montée du prix du foncier, conséquence de
l’explosion récente du prix de l’immobilier sur la côte basque,qui rend plus difficile que jamais l’installation des jeunes. Des initiatives fleurissent pour les aider à démarrer dans la vie, comme cette résidence d’artistes qu’ont ouverte, à Labastide-Villefranche, le
plasticien Pascal Convert et son épouse, Martine Convert, professeure de culture générale et de montage pour le BTS audiovisuel de Bayonne-Biarritz. Rattaché à un ancien garage, l’espace de 800 mètres carrés ouvert sur un vaste jardin sert à la fois de lieu de production et d’exposition. L’association Renouveau paysan a développé, elle, un modèle inédit de logement social pour paysans, associé à une terre agricole.(...)
La spécificité des Pyrénées-Atlantiques n’aide pas. Ce département bicéphale est scindé entre deux provinces, le Béarn et le Pays basque, chacune dotée d’une histoire très forte (le royaume de Béarn et le protestantisme d’un côté, la résistance au fascisme, la lutte armée, le terrorisme de l’autre), d’une culture vivace et d’une langue vernaculaire bien vivante. Les problématiques territoriales se recoupent largement mais sur le plan administratif ils sont parfaitement étanches, et toute tentative de projet intégré à l’échelle intercommunale est vouée à l’échec. Rien ne franchit la frontière, pas même une ligne de bus. « Les transports publics se concentrent sur la côte, là où il y a de l’argent… », note Julien Chavepayre, qui pointe la contradiction qu’il y a à vouloir faire du logement social dans une région qui ne propose pas de transports publics. « Les gens sont très pauvres ici, mais ils sont obligés de vivre avec deux voitures par foyer. Il faut vivre à la campagne pour comprendre les “gilets jaunes”… »
Ce ne sont pas là les seuls maux dont souffre ce pays qu’on dit de cocagne où prospère l’agriculture intensive. Les sols et les rivières sont rongés par la pollution, au point que les environnementalistes ont rebaptisé le gave d’Oloron le « rio FNSEA ». Avec son association, la Sepanso, branche locale de France Nature Environnement, l’historien et géographe Michel Rodes se démène pour contrarier les projets de l’agro-industrie. Il a récemment obtenu la fermeture d’une microcentrale hydroélectrique à Auterrive, sur le gave d’Oloron, en démontrant en appel (à partir d’un acte notarié de 1585 établi à la cour du roi de Navarre) qu’elle fondait sa légitimité sur un faux en écriture public
Fragments de France , le Monde ,
Isabelle Régnier Publié le 20 octobre 2021