Réduits bien souvent à leur seule dimension parisienne et étudiante circonscrits au seul mois de mai, "les évènements de mai 1968" sont encore l'objet de clichés tenaces loin de la réalité. [...] La contestation n'est pas apparue soudainement en mai 1968, pas qu'elle ne s'y termine. Elle émerge progressivement au milieu des années 1960 et poursuit dans les années 1970 quand de nouveaux mouvements sociaux font évoluer en profondeur de la société.
Il faut rendre aux "années 1968" leur durée mais aussi leur extension géographique: Paris n'a pas le monopole de la contestation hexagonale et, au delà-des frontières, l'espace 68" se déploie au niveau international. Au cours des années 1960 et 1970, de Berkeley à Tokyo, d'Amsterdam à Mexico, de Rome à Madrid et Varsovie, des mouvements de contestation surgissent. La jeunesse fait son apparition comme nouvel acteur social.
On n'a souvent retenu de l'article de Pierre Viansson-Ponté publié dans Le Monde du 15 mars 1968 que son titre: "Quand la France s'ennuie". [...] Mais le journaliste n'a pas tort lorsqu'il écrit : "Les étudiants manifestent, bougent, se battent en Espagne, en Italie, en Belgique, en Algérie, au Japon, en Amérique, en Egypte, en Allemagne, en Pologne même. Ils ont l'impression qu'ils ont des conquêtes à entreprendre, une protestation à faire entendre, au moins un sentiment de l'absurde à opposer à l'absurdité." Ainsi, les étudiants japonais ont, depuis le début des années 1960 et, plus encore, à partir de 1967, manifesté contre les liens particuliers que les pays entretiennent avec les Etats-Unis; Surtout, cela fait plusieurs années que la contestation s'exprime outre-Atlantique.
Multiforme, la remise en cause de l'ordre établi émerge aux Etats-Unis au début des années 1960-elle se poursuivra jusqu'en 1972. La "révolte des campus" prend naissance à Greensboro, en Caroline du Nord, en 1960, lorsque des étudiants noirs, victimes de ségrégation, improvisent un sit-in, suivi de multiples manifestations du même type dans les Etats du Sud. Alors que le mouvement pour les droits civiques prend son essor, les étudiants blancs se mobilisent pour l'arrêt des essais nucléaires, la liberté d'expression à l'université, le respect des libertés civiques ou la neutralité envers le régime castriste.
Geneviève Dreyfus-Armand, "Les années 1968 ou la jeunesse du monde", L'Histoire, n°330, avril 2008.