Le Commissariat général au Plan qui inspire aujourd'hui Jean Castex a été créé en 1946. A quels besoins répondait-il ?
Le premier Commissariat général au Plan, qui apparaît donc en 1946, a un objectif très clair de reconstruction du pays après les destructions de la Seconde Guerre mondiale. Sur les onze plans dont cette institution aura la charge, le tout premier (1946-1952) est un plan de modernisation et d'équipement. Il s'agissait de transformer l'appareil productif pour qu'il soit aux meilleurs standards de l'époque, essentiellement inspirés de standards américains. Le général de Gaulle sous l'inspiration forte de Jean Monnet - qui sera le premier commissaire au Plan - souhaite dépasser le niveau de modernisation d'avant crise de 1929.
L'idée consistait à programmer sur un temps relativement long des objectifs ambitieux pour reconstruire, transformer le pays afin qu'il retrouve la prospérité.
Comment est organisé le Commissariat général au Plan à l'époque ?
Le Commissariat général au Plan s'organisait en différentes commissions de modernisation dans lesquelles dialoguaient des experts, des administratifs et des partenaires sociaux. Ces commissions se concentraient sur les différentes ressources nécessaires à la reconstruction du pays : la commission sur les houillères par exemple, celle sur l'électricité, une autre sur les carburants et même sur les ressources humaines, appelées à l'époque "la main d'oeuvre". Ces commissions se développaient également autour des principaux secteurs d'activité du pays : la construction, l'automobile, le textile, c'est-à-dire tout ce qui était jugé prioritaire pour entraîner le développement de l'ensemble de l'activité économique de la France. L'un des premiers grands chantiers du Plan aura été le financement d'un grand train de laminage à large bande pour Usinor, qui était à l'époque une entreprise publique à Florange.
La force de cette institution reposait sur sa dimension interministérielle. Ce n'était pas qu'une affaire d'industrie mais aussi de formation des compétences. Mais le Plan se définissait aussi par sa méthode de dialogue et de concertation. Cette mise en mouvement de l'ensemble de la société et d'abord de l'ensemble de l'Etat supposait une vision qui s'élaborait et se conduisait au sein de cette instance. A l'époque, les partenaires sociaux essentiellement, la CGT, très forte à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et le CNPF (aujourd'hui le Medef) étaient des instances fortes qui étaient écoutées lors des échanges avec les experts et les hauts fonctionnaires. C'est probablement le sentiment d'urgence de la sortie de la guerre mais aussi la perspective de croissance et d'expansion qui permettait durablement de mettre d'accord les syndicats et le patronat.
Revenons sur l'origine de cette idée de Commissariat général au Plan. Ne date-t-elle pas en réalité du régime de Vichy qui avait développé une politique de grands travaux ?
En réalité, c'est une idée qui était très en vogue dans des milieux très différents. Il est difficile d'en établir une traçabilité précise. Jean Monnet s'est inspiré notamment de l'expérience du "war production board",équivalent de notre Plan pendant la Seconde Guerre mondiale aux Etats-Unis. Les Américains avaient même déjà conçu une forme de planification économique pendant la première guerre en s'inspirant des Allemands.
Mais c'est vrai qu'il existe d'autres courants, notamment celui des "planistes"dans les années 30 en France, dont certains ont participé au régime de Vichy. Toutefois, ils ne sont pas directement à la source d'inspiration du Commissariat général au plan.
Enfin, il y a la planification à la soviétique, celle du Gosplan qui consiste à fixer des objectifs chiffrés à l'ensemble des acteurs d'un pays à partir d'une position centralisée et dont ne s'est jamais revendiquée la planification française.
Comment définissez-vous la "planification à la française" ?
La "planification à la française" peut se définir comme un projet de société au sens où elle était élaborée par des parties prenantes qui arrivaient de différents horizons de la société. Jean Monnet s'enorgueillissait que plus de 1 000 Français aient participé à l'élaboration du premier Plan.
Ce projet ne visait pas seulement à transformer l'appareil de production. A partir des quatrième et cinquième Plans, le fonctionnement de la société, la répartition des revenus, l'organisation du territoire étaient concernés.
Il y a donc eu plusieurs époques pour le Plan ?
Oui, nous pouvons en distinguer trois. Les premiers Plans sont donc des plans de modernisation et d'équipement, centrés sur l'appareil industriel et le développement économique du pays.
A partir de 1962, avec les quatrième et cinquième plans - qui par ailleurs changent de nom et s'appellent désormais "Plans de développement économique et social" -, le spectre des objets traités est plus large comme nous venons de le dire avec la question de la répartition des revenus, une attention à la qualité de vie qu'on ne trouvait pas initialement après la guerre.
La troisième période commence à partir des années 70, à partir du choc pétrolier et va amorcer la fin du Plan. Dès lors que se développent la mondialisation, la construction européenne surtout à partir des années 80, la décentralisation mais aussi une accélération du rythme de l'action publique avec une plus grande dépendance à l'égard du monde extérieur, programmer l'économie sur cinq ans avait aux yeux des décideurs publics de l'époque moins de sens que cela en avait dans une économie encore très domestique, très nationale, beaucoup plus pilotableà la sortie de la Seconde Guerre mondiale.
France culture , Analyse avec Daniel Agacinski, chef de projet chez France Stratégie,12/07/2020 Par Anne Fauquembergue
« Il faudra un certain temps », lui dis-je, « pour réparer les villes, les ports, les chemins de fer, mais ces choses-là seront réparées, parce qu'on ne peut pas faire autrement. Par contre, il faudra une volonté très ferme, et beaucoup d'explications,pour faire comprendre aux gens que le mal essentiel est dans l'archaïsme de notre équipement et de nos méthodes de production ».
- « C'est le rôle des pouvoirs publics », me répondit-il. « Proposez-leur quelque chose ».
- « Je ne sais pas encore exactement ce qu'il faut faire,mais je suis sûr d'une chose, c'est qu'on ne pourra pas transformer l'économie française sans que le peuple français participe à cette transformation. Quand je dis le peuple, ce n'est pas une entité abstraite, ce sont les syndicats, les industriels, l'administration, tous les hommes qui seront associés à un plan d'équipement et de modernisation ».
- « Voilà ce qu'il faut faire, et en voilà le nom » conclut le général de Gaulle. {…}
L'époque était favorable aux expériences d'efforts en commun,car l'élan patriotique de la Libération était encore présent et n'avait pas encore trouvé le grand œuvre où il pourrait s'exprimer positivement. {…} J'ai connu dix présidents du Conseil, et livré autant de batailles. L'instabilité ministérielle était un mal pour la France, mais guère plus qu'une gêne pour le Plan. Dans les vingt années qui suivirent, trois commissaires au Plan vinrent passer vingt-huit gouvernements.
extrait des Mémoires de Jean Monnet, publiées en 1976 chez Fayard.
Jean Monnet y raconte une conversation qu'il a eue avec le Général de Gaulle fin 45